top of page

L'angle mort


Il y a une semaine, Patrick Lagacé, de La Presse, a demandé aux gens sur Facebook de lui parler de l'angle mort en santé mentale. Je résume le très long (trop long, pauvre gars qui en a probablement reçus 2000) courriel que je lui ai envoyé...Je suis certaine qu'il pourrait s'adapter à l'étudiant débordé, la chef d'entreprise, etc, mais je l'ai écrit selon ma perspective de mère.... Alors voilà.

L'angle mort, c'est que la vie autour n'arrête pas. C’est la réalité des mères-en-burn-out qui sont en arrêt de travail, mais pas en arrêt-de-la-vie-de-mère (et là, je dis les mères parce ce que j’en suis une, mais j’imagine que ça s’applique à certains pères, je ne veux pas offusquer personne). C’est la non-existence de ressources concrètes pour aider, à l’extérieur de ta famille et de tes amis proches. Et ça, c’est quand tu es entourée de gens qui peuvent t’aider, qu’ils sont géographiquement pas trop loin, qu’ils comprennent et acceptent ta problématique, qu’ils ont le temps, qu’ils ne pensent pas que tu es en vacances payées chez vous, etc.

Si tu n’as rien de tout ça, tu fais quoi? Les mères monoparentales qui sont en dépression, elles font quoi?

J’ai une famille tissée serrée, un mari, un bon réseau de soutien, mais au quotidien, ils ne peuvent pas être à la maison pour gérer les 345456 affaires qu’une mère gère dans une journée. Le day-to-day ne change pas.

Ton conjoint ne peut pas soudainement prendre tout sur ses épaules ou changer tout son horaire. Il peut peut-être prendre des congés ici et là, mais s’il travaille le matin et que tu as toujours géré les p’tits avant l’école, ils deviendront pas soudainement capables de s’organiser de A à Z, alors tu vas te lever à 6h15, brûlée ou pas (ou tu vas rester couchée et ramasser la cuisine pendant deux heures après parce qu’ils ont savouré leur nouvelle liberté matinale en encourageant le plus grand à s’improviser chef étoilé d’omelettes, mais que personne ne s’est abaissé à se désigner busboy). Quand tu es en burn-out ou dépression, trouble d’adaptation, quand ton anxiété est dans le tapis, mais que t’es pas au point d’être hospitalisée ou que t’es pas suicidaire, que le problème est en partie causé par le travail et qu’on te met en ‘’repos’’ à la maison, la vie familiale continue. Tu n’es peut-être pas obligée d’aller travailler quand tes enfants partent pour l’école, c’est un stress de moins, mais je me surprends souvent à penser que soigner une dépression, c’est plus de job que de faire du 9 à 5.

Tu as beau avoir l’impression de manquer d’air parce que tu es terrassée par l’angoisse, tes enfants mangent quand même, ta fille a besoin d’aide pour sa présentation orale sur l’Égypte ancienne, ton chien doit aller dehors le matin, tes comptes doivent se payer, tu dois renouveler tes assurances et le plus vieux appelle encore un midi sur cinq parce qu’il a oublié son lunch. Il y a encore des pratiques de hockey, des mitaines égarées à retrouver et des 12,76$ (montant juste) à trouver 3 secondes avant que le bus passe ‘’pour une activité culturelle et enrichissante’’ prévue dans la classe de 5e ce matin, dont tu ignorais l’existence parce que la feuille s’est chiffonnée dans le fond du sac entre un crayon marqueur qui coule et ce qui a l’air d’avoir déjà été une clémentine. Tu restes une mère, avec un coeur de mère. Les premières personnes, instinctivement, que tu veux épargner, c’est eux, pas toi.

Tu en fais moins, tu te couches plus tôt, tu essayes de prendre du temps pour toi, pour aller mieux, mais le concept de repos, c’est flou un peu pour les mères. Tu délègues un peu ta part des tâches, tu vas à l’essentiel. Mais mettons, le vomi du plus jeune à 4h du mat quand ton chum travaille, c’est toi qui vas le ramasser.

Tu vas t’adapter le trouble d’adaptation sur un 10 cents, étouffer ta crise d’angoisse, parce que tu n’as pas le choix.

On ne parle pas beaucoup de cette réalité là et en fait, on parle peu de la maladie mentale entre mères. Il y a cette gêne, la culture de la super-mère. On en parle à outrance du syndrome de la mère parfaite, c’est quasiment gossant, mais on a beau lire 800 post Facebook là-dessus, ça change pas. Il y a aussi la peur d’être jugée et probablement l’orgueil, je pense. On ne veut pas perdre la face devant la mère du p’tit Jacob qui arrive toujours à l’aréna comme si elle s’en allait aux noces de Céline et qui a l’air d’être zen 24 sur 24. C’est plate mais c’est vrai.

Pour ma part, j’en parle de plus en plus, mais en su

rface. Ça me libère et ça m’angoisse en même temps. C’est pas dans ma zone de confort d’écrire un texte qui sera lu par mon boucher, les parents de mes élèves, ma voisine, le prof des mes enfants (c’est la vie de région) et qui dit: “je souffre d’anxiété”. On ne penserait pas qu’on s’avoue faible si on dit:” j’e souffre de diabète”. Mais quand il est question de maladie mentale, c’est une toute autre game. Pourtant, la maladie, c’est la maladie. On le sait qu’on va être jugée. On le sait que ça va chuchoter. Tant pis. Peut-être aussi, que ça va être l'occasion de réaliser qu'on n'est pas seule de note gang. De partager sur ce qui nous aide. Moi c'est écrire,dessiner, le beau, d'autres courent des marathons ou tricotent...On pourrait se louer un local avec un tapis roulant, une berceuse et un ordi (peut-être un fridge de mousseux aussi, hahaha!), question de pas broyer du noir en silence. Un genre de havre-de-paix-de-mères-ayant-besoin-de-repos. Pas de bruit, pas de traîneries, personne qui a besoin de nous pour quelques heures. La halte-garderie de notre santé mentale. Des intéressées?

Marilou xox

bottom of page